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Io Capitano: l’amour au-dessus de l’enfer

 
22 septembre 2023   |   , ,
 
IO CAPITANO
IO CAPITANO

Après les prix reçus à Venise, est sorti en salles le très beau film de Matteo Garrone, « Io Capitano » : le voyage dramatique de deux très jeunes hommes du Sénégal à l’Italie, en passant par le désert, la mer, et surtout par la violence humaine. Un voyage dans la douleur et l’injustice, toutefois contrées par la force de l’amour entre êtres humains.

Il y a l’enfer dans Io Capitano: le nouveau et puissant film de Matteo Garrone, présenté en compétition à la Mostra de Venise et récompensé par le Lion d’argent du meilleur réalisateur, en plus de la reconnaissance de meilleur acteur débutant au jeune Seydou Sarr.

L’œuvre, douloureuse et émotionnante – dans les cinémas italiens depuis le 7 septembre – montre l’enfer mais aussi son contraire : l’amour.

Le protagoniste Seydou en est pleinement habité, lui, un Sénégalais de seize ans, quittant une famille aimée pour se mettre en route vers l’Europe.

Il est pétri d’amour, mettant le prochain au centre de son existence, bien que celle-ci évolue sur une corde raide, entre la vie et la mort : elle embrasse un immense segment du monde qui va du désert du Sahara aux atroces prisons libyennes, jusqu’aux sombres vagues de la Méditerranée. Seydou est mu par l’amour, car il se nourrit de ce sentiment : c’est en celui-ci qu’il puise sa force au cours des violences de son odyssée, du Sénégal aux côtes siciliennes. Une route terrible, inhumaine, infernale en fait : choisie (avec son cousin Moussa), non pour échapper à une guerre ou à une famine, mais à la poursuite d’un rêve légitime, de liberté, peut-être ingénu, à la fois simple et source d’une saine énergie : devenir musicien.

Il n’est guère plus qu’un gamin, Seydou, alors que les loups, qui le repèrent et le mordent impitoyablement en cours de route, sont féroces : les voir en action fait mal. Ils commencent à grogner à l’abord de sa pureté, de ses yeux profondément expressifs (ceux de Seydou Sarr, décisifs dans la note élevée donnée au film), alors qu’il est tout juste sorti de son petit monde, à la première frontière déjà. Des arnaques, des vols, des mensonges, des coups, un piétinement continu de la dignité humaine, jusqu’à la torture, au gré de séquences troublantes, durant quelques instants – heureusement courts – vraiment insupportables. Elles sont toutefois nécessaires à nous faire sentir au fond du cœur cette dure vérité du monde, afin d’élargir la réflexion sur les migrants de toutes latitudes et origines, afin de répondre plus résolument à la tentation des pensées à courte vue, égoïstes, coupablement superficielles. Ces moments du film – non seulement eux ! –  nous forcent à regarder ce qui se passe au long de ce voyage intolérable. Ce sont des images qui ne découlent pas de vouloir dramatiser la douleur – ça n’est pas le style de Garrone! –, mais, au contraire, du devoir de décrire avec force le réel calvaire de tant de laissés-pour-compte désireux d’améliorer leur sort.

IO CAPITANO
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Seydou le vit ensuite meurtri par la séparation forcée d’avec Moussa : même cela ne parvient pas à l’endurcir, ni le dégrader. Dans le désert, il s’arrête pour offrir son eau très précieuse à une femme agonisante : ça peut lui être fatal. Il ne renonce pas à chercher son cousin en Libye, malgré le fait que cela signifie perdre une protection vitale rencontrée en chemin. Il ne l’abandonnera pas lorsqu’après l’avoir trouvé il le découvre gravement blessé à la jambe.

La conscience que Seydou a de l’autre, son esprit de fraternité, la conviction qu’ensemble l’on reste encore des humains et qu’il y a ainsi plus de sens à poursuivre le rêve, sans se laisser amoindrir, sans reculer. En effet, à souffrir, ils grandissent : ces visages épuisés, hagards, vont jusqu’à faire de ce jeune homme le capitaine courageux de leur bateau, alors qu’ils sont plus désemparés et terrifiés qu’absorbés dans leurs propres pensées. Seydou en devient le très jeune père : il les calme, les soigne, les invite à prier Allah. Il leur promet que personne ne mourra. Il se démène jusqu’à l’épuisement, se bat, pour transformer les paroles en actes. Il ressent et exprime la peur propre à son âge, mais la relie au profond sentiment de responsabilité que les passeurs, trafiquants d’êtres humains, le forcent à soutenir, quand ils l’obligent à guider l’épave rouillée, chargée de personnes fragiles comme lui.

Son courage mûrit dans les difficultés, alimenté, probablement, par les témoignages d’humanité reçus au hasard des rencontres : Seydou est sauvé par d’autres comme lui. Dans sa bonté, un homme lui tend la main au moment le plus difficile. Un autre lui dit d’aller chez lui à Tripoli, s’il retourne sans nulle part où aller. Seydou sauve et est sauvé, nous rappelant que le bien existe toujours en l’homme, même au cœur de la douleur et d’un extrême désespoir. Il ne succombe pas au mal dont ce même homme est aussi capable.

« Io Capitano » remémore des thèmes anciens – les extrémités morales de la lumière et des ténèbres, les pôles opposés de tuer et d’offrir sa vie au prochain -, tout en témoignant d’un énorme problème de l’humanité, de son présent et de son avenir.

Il le fait à travers les yeux d’un garçon, parfois sillonnés de larmes, parfois cernés et gonflés. Parfois grand ouverts par la force de sa jeunesse et sa beauté d’âme. D’autres fois encore à moitié fermés par la fatigue. Des yeux qui ne dorment pas, des yeux forcés de voir l’enfer, mais aussi fiers et désormais adultes, adressant un cri de victoire à l’hélicoptère des garde-côtes, dans un mélange de joie, de fierté et de colère. Des yeux façonnés au cours d’une histoire qui, dans sa crudité, sait être fable : en son apologue, elle communique une vérité nécessaire. Au-dedans de sa dureté, elle offre de l’émotion et, dans le cadre d’une direction réaliste, sobre et dynamique, parfois à juste titre convulsée, laisse entrer le monde de l’imagination salvatrice, celui d’une vision de l’esprit, intérieure, qui bataille contre le monde du dehors.

Un film qui laisse survivre, au cauchemar, le rêve, à l’horreur, la beauté.

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