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Le soin des relations est le soin de la création
Entretien avec Giorgio Vacchiano à l’occasion de la Journée pour la sauvegarde de la Création
Le mardi 1er septembre est célébrée, en Italie et dans d’autres parties du monde, la Journée Nationale pour la Sauvegarde de la Création. C’est une initiative de l’Église italienne, en harmonie avec les autres communautés ecclésiales européennes, qui consiste en une journée annuelle consacrée à réaffirmer l’importance, également pour la foi, du « soin » de notre maison commune, la Terre: de fait, à sa santé est liée celle de nos relations, avec tout ce qui en découle en termes de justice, de paix, de solidarité entre les générations et les peuples. Et, comme nous le dit Giorgio Vacchiano, l’inverse est peut-être aussi vrai: de la qualité de nos relations peut aussi dépendre celle de l’environnement dans lequel nous vivons.
Giorgio Vacchiano, 40 ans, est chercheur et maître de conférences en gestion et planification forestières à l’Université d’État de Milan. Il travaille pour comprendre comment les arbres et les forêts réagissent au «climate change», comment changent leurs apports bénéfiques à l’humanité, afin de les gérer de manière durable, en assurant leur conservation, leur résilience et leur capacité à contrer la crise climatique en cours. Pour ses recherches, il fut cité en 2018 par la revue Nature comme l’un des 11 scientifiques éminents au monde qui «laissent leur empreinte dans la science». Il est membre de la Société italienne de sylviculture et d’écologie forestière (SISEF) (dont il coordonne le groupe de travail sur la communication) et de l’Ecological Society of America (ESA). Il est l’auteur de « La resilienza del bosco (trad. : la Résilience de la Forêt)» (Mondadori, 2019).
Comment est né votre amour pour la nature?
«L’amour pour la nature me vient en fait de la montagne, car, pour y avoir été depuis petit, j’ai appris à très bien connaître cet environnement, où je me sens chez moi. Les Alpes ont accueilli mes étés, avec mes rêves et mes envies. La montagne est toujours restée une passion, aussi parce que mes parents m’ont transmis beaucoup de curiosité envers le fonctionnement du monde naturel : alors, quand il a fallu décider du cours de mes études, j’ai pensé aux Sciences Forestières. Mon professeur de sciences de l’époque m’a fait comprendre que la nature, en plus de la connaître, doit être bien gérée : il faut comprendre quelle direction lui donner pour le bien de la société ».
L’importance de la relation homme-environnement, nature-société, ça n’est pas nouveau …
«Ce n’est certainement pas nouveau, mais a son développement propre. Il y a une dimension de contemplation de la beauté que la nature exprime, et cela n’a pas besoin d’explication. Mais il y a aussi quelque chose de plus fort entre nous et la nature, ce que la réalité de cette époque montre très bien, et j’en fais le message principal de mes recherches: la crise climatique, sociale et sanitaire, à laquelle nous avons abouti, met en évidence cette connexion d’un rapport juste entre nous et la planète ».
Dans quelle situation nous trouvons-nous aujourd’hui ?
« Le point central, à mon avis, est le suivant: il y a des crises qui semblent distinctes mais qui ont la même racine et sont intimement unies, c’est-à-dire qu’elles expriment la même chose: clairement la plus urgente maintenant est la crise sanitaire, qui n’est pas un objet étranger pour ceux qui parlent d’environnement et de climat, car les causes de transmission des pandémies des animaux aux humains sont nombreuses et la manière dont nous traitons et préservons les écosystèmes, en particulier les forêts vierges, affecte grandement ce processus. Il est prouvé que la dégradation des forêts primaires rend plus probable la transmission de bactéries et de virus des animaux aux humains. Ensuite, il y a une crise climatique qui met en sérieux danger également l’Occident. Jusqu’à il y a quelques années, cela nous paraissait lointain, même pour les générations futures: les vagues de chaleur, les inondations, les sécheresses, les tempêtes arrivent maintenant en Europe. En conséquence, une autre crise éclate, la crise sociale. Aux USA, la conjonction de ces trois crises a été plus forte, pensons seulement au mouvement Black Lives Matter, à l’émergence de l’injustice raciale, sociale et économique que vivent ces personnes : c’est nettement aussi une injustice environnementale et climatique, car ce sont des personnes qui ont une probabilité énorme de vivre dans des zones contaminées, où les effets du changement climatique sont plus sévères et graves; d’une façon générale, ces personnes souffrent aussi de taux de mortalité de Covid, 10 ou 20 fois plus élevés que les populations blanches. Ce sont des données qui devraient nous faire réfléchir, car elles sont un exemple qui démontre très bien à quel point tout est lié ».
Mais rien n’a changé ces dernières années?
<< La prise de conscience s’est accrue. Il est intéressant d’être arrivé à ce moment-charnière, car nous nous rendons compte que les questions fondamentales pour l’humanité aujourd’hui concernent l’environnement, non pas comme quelque chose que nous pourrions traiter uniquement par passion, ou parce que nous pourrions être particulièrement sensibles à ces problèmes. La nature ne peut plus être comprise comme quelque chose de totalement étranger à nous, à l’homme, mais c’est quelque chose qui se reflète de manière extrêmement forte sur l’humanité, sur la qualité de vie, sur la survie, sur le bonheur, sur nos conditions de santé: du premier, du deuxième, du troisième et du quatrième monde, tous ensemble ».
Voulez-vous dire que la crise environnementale et climatique peut également affecter nos relations?
«L’un est le reflet de l’autre, il est difficile de comprendre quelle est la cause et quel l’effet … Instinctivement, je dirais le contraire: c’est le système de relations entre nous qui peut affecter la qualité de l’environnement pour le meilleur ou pour le pire. Plus nous nous mettons avec passion à des relations fraternelles, plus nous pouvons comprendre les conséquences négatives [de ce système de relations] sur la crise climatique, sur la crise de la biodiversité ; nous sommes aussi plus enclins à trouver des solutions, car il ne s’agit plus de la santé des baleines ou d’une plante perdue en Australie, mais de la santé et de la survie des êtres humains : c’est cela qui compte pour nous, en raison des relations précitées. Si nous avons un «phare», qui serait une relation saine avec ceux de notre espèce, nous aurons un levier pour comprendre que chacune de nos actions a des conséquences non seulement sur les écosystèmes, mais, à travers eux, également sur les autres êtres humains. C’est un fait inévitable ».
Les relations peuvent également s’aggraver en temps de crise.
<< Certes, et nous le constatons entre les États, par exemple, avec la crise provoquée par le Covid-19, chacun a eu tendance à résoudre ses propres problèmes liés aux contagions, mais il y a un manque de coordination à un plus haut niveau : ça aurait permis d’obtenir d’autres résultats. Il y a une tendance à se refermer sur soi-même qui n’est pas positive. C’est la même chose pour la crise climatique: nous avons les solutions technologiques pour « décarboniser » notre économie et passer à des sources d’énergie entièrement renouvelables. Ce n’est pas un problème de recherche, ce n’est pas un problème de connaissance, mais c’est un problème de coopération, car manque une conscience à niveau planétaire, qui conduirait à développer quelque chose de nouveau ».
Un autre aspect lié à la crise environnementale sont les migrations …
<< Avec l’aggravation des conditions climatiques, les conditions de vie de nombreuses personnes dans certaines zones de végétation sont devenues insoutenables, forçant des peuples entiers à se déplacer: le conflit syrien, par exemple, a eu des causes politiques, sociales et économiques, mais a aussi une composante climatique. En effet, la grande sécheresse qui a frappé la Syrie en 2011-2012, a poussé de nombreux agriculteurs et leurs familles vivant en milieu rural à arrêter de cultiver la terre, car ça ne leur était plus possible : il s’en est suivie une perte, en termes de soin à la biodiversité, de soin au sol, etc.). Tous ces gens ont déménagé en ville, modifiant l’équilibre social, devenant malgré eux un facteur d’instabilité pour ce qui s’est passé ensuite. La crise syrienne a causé 5 à 6 millions de réfugiés, la plupart au Liban et les autres en Europe. Les prévisions de l’ONU parlent par ailleurs de 400 millions de réfugiés climatiques dans le monde à la fin du siècle. Les migrations sont un phénomène inhérent à l’homme, mais nous ne sommes pas équipés pour répondre à la très grande vitesse avec laquelle, en très peu de temps, évoluent les phénomènes climatiques et migratoires; tout cela nous prend au dépourvu ».
Donnez-moi quelques exemples …
«Une ville comme Miami sera menacée par la montée des mers d’ici quelques décennies, et c’est une ville qui ne se reconstruit pas facilement ailleurs; c’est notre adaptabilité qui est en crise parce que, ces derniers temps, nous nous sommes développés dans un climat instable, à savoir que nous sommes sortis des paramètres climatiques qui ont caractérisé le développement de la civilisation humaine telle que nous la connaissons, depuis le néolithique. Il fait plus chaud aujourd’hui que dans les 10 000 dernières années, il y a des tempêtes, des phénomènes de plus en plus intenses, notre société se retrouve à habiter une planète qu’elle ne reconnaît pas, c’est comme si nous venions d’atterrir sur Mars et que nous devions nous y adapter».
Quand on pense à l’environnement, au soin de la création, la tentation est de penser que ces thèmes regardent toujours les autres.
«La tentation est toujours de dire que les questions environnementales concernent les politiques et que nous n’y pouvons que peu, nous faisons« autre chose», le train-train de notre quotidien et nous nous en satisfaisons. Mais ce qui compte, c’est de faire beaucoup et de se dépêcher : il faut obligatoirement évoluer sur les plans économique et politique, parce que ce sont eux les leviers des grands changements. Si je peux changer aujourd’hui 1 dans ma petite sphère, mais que je peux changer demain 20 si je m’investis sur le plan politique, je choisirais cette dernière option. Bien sûr, l’engagement personnel et celui à des niveaux élevés peuvent aller de pair, les deux choses ne s’excluent pas: il faut être cohérent avec son style de vie, mais je n’aimerais pas m’installer dans la logique de « mon petit coin », car elle est dangereuse et me donne une excuse. Le verre d’eau en cas d’urgence, c’est très bien ! mais ne nous arrêtons pas là, comme quelqu’un l’a dit, il faut penser à l’aqueduc!
Quelle est la démarche à suivre?
«C’est celle du jeu d’équipe, du jeu organisé, la relation. Le super-héros ne suffit pas, ni une action commune. Tout est nécessaire, mais il faut le réseau, l’équipe et ne pas rester dans l’individuel: construire des relations fraternelles, je le répète, augmente la prise de conscience, la sensibilité envers les autres, y compris les autres peuples et nations, et produit de nouvelles idées dont nous avons urgemment besoin».
Pouvez-vous me donner un exemple?
«Pour résoudre l’urgence climatique, le principal champ d’action est sans aucun doute le mode dont nous produisons de l’énergie, c’est le 90% du problème. Si nous résolvions l’aspect énergétique, nous aurions résolu une grande partie du problème. Il existe de forts intérêts économiques pour bloquer les actions individuelles et collectives. En Italie, nous avons 19 milliards de subventions par an (c’est-à-dire des deniers publiques) pour le secteur des combustibles fossiles. Nous devrions voir ce qui se passerait en interrompant ces flux financiers, en les dirigeant ailleurs, vers les énergies renouvelables par exemple. Si la politique devait prêter main-forte au marché de l’énergie, elle donnerait également un coup de main au quotidien de chacun d’entre nous, agissant avec une vision de long terme pour réparer un dommage qui devient irréversible…. C’est un morceau du fameux aqueduc ».