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Speranza, comunità e rinascita in un angolo remoto di Inghilterra
De nombreux thèmes forts dans le nouveau film, aussi simple que puissant, de Ken Loach : The Old Oak ! Présenté au Festival de Cannes. Il y est question de travail, de migration, de l’importance de se rencontrer, d’échanger et d’être ensemble pour engendrer la force d’une communauté.
On y voit briller la capacité de renaître dans la souffrance, de la part de TJ Ballantyne : un homme qui a vécu des chutes et a risqué d’y laisser sa peau. La première fois, ce fut lorsqu’il a vu mourir sa communauté minière du nord de l’Angleterre, dans les années 1980, une fois perdu le duel avec la Thatcher. La seconde, suite aux blessures laissées par cette désillusion, fut lorsqu’il laissa souffrir sa femme, jusqu’à la perdre. La troisième fois, quand, encore brisé par cette accumulation de douleur, il songea à y mettre fin, mais en fut empêché par le destin, ou peut-être par quelque chose de plus grand.
TJ renaît ce jour-là, ou, pour le moins, continue à respirer, grâce à un petit chien qui vient à sa rencontre au moment le plus sombre. On l’appelle Marra, ce qui, chez les mineurs, signifie compagnon, plus qu’ami, celui qui protège tes arrières, qui peut te sauver la vie. Ce petit animal est devenu une vie à aimer, à défendre, quelqu’un pour qui vivre, un point d’appui pour renaître chaque jour, ne serait-ce que l’instrument pour sortir du lit le matin, dans la ville agonisante de TJ Ballantyne, parce que privée de l’essentiel de l’humain, appelé socialité.
Il passe ses journées dans son pub, TJ, au milieu des photos en noir et blanc des mineurs alors encore unis et forts, et d’une poignée de clients à l’air sombre et en colère face à l’extinction de leur région et à une pauvreté qui n’est pas qu’économique. Plus ignorants et dégradés que véritables racistes, non pour autant inoffensifs ni bâtisseurs de bien.
Le local, aussi négligé que son propriétaire, s’appelle The Old Oak : le vieux chêne, qui donne son titre au film. Un arbre fort, comme l’est au fond TJ lui-même, debout dans la tempête, dans les saisons dures et froides, marqué, planté et ferme jusqu’à ce que la vie elle-même, un jour à notre époque de guerres et de migrations, lui offre une nouvelle occasion de renaître.
Cette opportunité passe par le visage de Yara : une jeune syrienne qui est arrivée dans le bourg décadent avec d’autres personnes pauvres, ayant fui les bombes, la violence et la mort. Elle a appris l’anglais en aidant aux secours venant de l’étranger, dans son pays meurtri ; elle a une passion et un talent pour la photographie. Avec elle une famille nombreuse et fragile, dans ce coin froid de l’Europe près de Newcastle, mais sans son père : peut-être tué, peut-être retenu prisonnier dans les terribles prisons syriennes.
T.J. remarque quelque chose en cette fille dans le besoin. Il sent qu’à partir de cette souffrance individuelle et collective des gens déracinés peut ressurgir une communauté. Et lui-même peut renaître, notamment en se rachetant des erreurs du désespoir. Il parle peu, T.J., mais fait de son mieux pour que soit réparé l’appareil de photo d’ Yara, endommagé par un vaurien de l’endroit, bon uniquement à gaspiller son argent au pub.
Il met sa camionnette à disposition pour apporter des produits de première nécessité aux syriens dispersés dans les maisons du village, et rouvrira la salle à l’intérieur du pub, fermée depuis l’époque lointaine d’une communauté minière encore vivante, où manger ensemble n’était pas seulement satisfaire sa faim, mais se nourrir les uns les autres. Il ouvre à nouveau ces portes pour préparer des repas à partager entre autochtones et étrangers.
Sur cette pierre urbaine desséchée par l’histoire, se remet à germer le bourdonnement fertile de la rencontre, se forme à nouveau la dimension humaine du dialogue et du partage. De cette espérance dont Yara parle dans un émouvant monologue, vers la fin, dans une cathédrale d’une antique et touchante beauté !
Mais il y a aussi les mauvaises herbes au milieu du blé métaphorique du film : la zizanie banale et nocive de l’envie, de la peur, de la fatigue et de la fermeture, à détruire, ou peut-être seulement à essayer de le faire, cette harmonie en voie de résurrection, cette renaissance plus forte que les précédentes.
La fin de The Old Oak est indécise : il y a de nouveau la douleur, mais il n’est pas certain qu’il y ait la défaite, semble nous dire le maître Ken Loach – quatre-vingt-sept ans, en pleine forme, bras dessus bras dessous avec son fidèle scénariste Paul Laverty -. C’est bien ce qu’il nous dit avec ce film linéaire, dépouillé, mais non schématique ni pauvre en émotions. Aussi simple que riche de substance. Puissant dans son ensemble. Abondant en thèmes forts bien harmonisés, tels que le travail des humbles, exploités et abandonnés, les migrants dépouillés de tout, l’importance d’être ensemble, les blessures communes qui se guérissent mutuellement avec une unité renouvelée. Tels que la solidarité, qui suppose un rapport entre égaux, un rapport d’échange qui édifie.
C’est pour cela que TJ offre son établissement, après l’avoir refusé aux habitués, s’attirant leur colère, de manière bien réelle. Il le fait parce que ceux-ci l’auraient utilisé pour diviser, éteindre, détruire une rencontre potentiellement salvifique. Les autres, en revanche, le remplissent du désir de construire l’avenir. De cet espoir, s’il est obscène pour certains, dit Yara dans l’église, et si « parfois il peut créer de la douleur », c’est aussi celui en fonction duquel « si j’arrête d’espérer mon cœur s’arrêtera de battre ».
L’espoir est bien là dans le Old Oak, il respire dans la jeune Yara et le mature TJ. Il illumine et parfume le film, mais il n’est pas seul : il doit vivre avec la fragilité humaine qui porte à donner « la faute à ces pauvres types en dessous de nous », dit TJ à un vieil ami, son ancien camarade d’école et comme lui fils de mineur. Il le lui dit après que celui-ci l’ait trahi et boycotté, parce que victime de son triste sort. Dans l’une des dernières séquences du film, nous le retrouvons cependant à l’endroit où la communauté naissante vient de se rassembler dans un moment de douleur partagée.
Il se peut donc que cet homme aussi puisse ressentir en lui-même, immédiatement après le générique de The Old Oak, l’immense plaisir de renaître !