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Quand Danser rime avec unité et fraternité | Partie 2
Nous vous proposons notre interview avec Antonella Lombardo, fondatrice du LAD (Laboratorio Accademico Danza, Laboratoire Académique Danse en français), du DanceLabArmonia et de la marche Armonia for Peace. Une inlassable promotrice de l’art comme instrument pour construire la fraternité, l’unité et la paix.
Antonella Lombardo a commencé à étudier la danse dès son enfance. Elle s’est formée à l’Accademia di Danza de Rome et a suivi des cours à Paris, à la Sorbonne et à Cannes. Mariée à l’âge de 25 ans, elle a interrompu sa carrière de danseuse et s’est consacrée à l’enseignement. En 1984, elle a fondé un centre artistique extraordinaire et plein d’humanité à Montecatini, en Toscane. Il s’appelle Laboratorio Accademico Danza : le LAD, qui a été le début d’une grande histoire. Nous l’avons rejointe pour qu’elle nous parle de cette aventure qui a commencé il y a 40 ans :
Notre travail est né pour créer un lieu de rencontre pour les jeunes. Pour leur offrir un endroit où faire l’expérience de l’art dans ses différentes disciplines, dans une ambiance positive et stimulante. Une école qui, depuis 40 ans, accueille des milliers de jeunes.
Quelle était la réaction du Père Ibrahim ?
Il m’a regardée avec sérieux et il n’a rien dit. J’ai pensé que mon projet ne l’intéressait pas. Je lui ai dit au revoir en pensant n’avoir rien accompli.
Alors qu’en fait…
Une semaine plus tard il m’a appelée pour me dire qu’il allait donner à 5 israéliens et 5 palestiniens l’opportunité de participer à notre premier campus international. C’était le début de cette aventure. Je me souviens que, pendant le campus, l’hélicoptère de la division anti-terroriste de la police italienne a survolé l’école. C’était une expérience marquante.
As-tu d’autres souvenirs ?
Au cours de la première semaine nous avons pris conscience de la haine entre israéliens et palestiniens. Avec Elisa nous nous sommes demandé si nous avions bien fait de choisir de travailler avec cette réalité qui nous dépassait. Nous étions presque désespérées, mais finalement nous avons découvert tout le pouvoir de l’art : en travaillant ensemble, petit à petit, ces jeunes ont découvert qu’ils avaient les mêmes rêves et les mêmes besoins. Ils ont compris qu’ils pouvaient s’apprécier et de belles amitiés sont nées.
C’est extraordinaire…
Des relations d’une grande beauté se sont créées et se sont étendues aux autres jeunes. Il y aurait beaucoup de moments à raconter sur ce premier Campus, mais le plus significatif a été sans doute le « miracle » de la rencontre pendant la deuxième semaine. L’atmosphère d’harmonie et de fraternité qui s’est instaurée.
Que s’est-il passé après ?
L’expérience s’est poursuivie dans les années suivantes avec d’autres campus, même si nous ne sommes qu’une goutte dans un océan de douleur. De retour à Jérusalem, nous avons vu que ces jeunes israéliens et palestiniens pouvaient dialoguer.
C’est ce qui compte. Arriver à changer une mentalité de haine mutuelle.
Comment arrive-t-on à faire cela ?
En travaillant avec les jeunes, qui sont les plus disposés au changement. Nous en avons également fait l’expérience en ressentant l’atmosphère d’harmonie qui s’est instaurée lors de la préparation du spectacle pour les 800 ans de la rencontre entre Saint François et le sultan Malik al-Kamil. Des écoles musulmanes et catholiques ont travaillé ensemble pour un évènement qui a eu lieu à Jérusalem et à Marseille.
Le Père Ibrahim connaît-il les résultats de votre travail ?
Le Père Ibrahim Faltas est venu nous rendre une visite surprise lors du premier Campus International dans mon école, en Italie. Il a été profondément impressionné en voyant que, sur scène, il n’y avait pas de différence entre les jeunes israéliens et les jeunes palestiniens. Les premiers fréquentaient de très bonnes écoles, les seconds non, mais nous avions réussi à éliminer les différences. Le Père Ibrahim nous a invités à proposer des campus artistiques à Bethléem et à Jérusalem.
De là est née l’expérience du campus au Moyen-Orient…
Exactement, en 2014. Nous étions logés, comme toujours par la suite, dans le siège de la Fondation Jean Paul II à Bethléem, et nous avons travaillé avec environ 150 enfants des camps de réfugiés et des territoires palestiniens. Un autre campus s’est déroulé en même temps à Jérusalem, dans les écoles de Terre Sainte, et encore un autre à Beit Hanina, dans une école avec 400 enfants sourds-muets : un fléau fréquent causé par la consanguinité due au mur séparant Bethléem et Jérusalem.
Comment vivez-vous le moment actuel ?
Les campus sont actuellement suspendus, et là-bas c’est la catastrophe : on reçoit des messages décrivant une situation très grave. Nous gardons le contact avec tous nos jeunes par internet. Notre aide ne peut qu’être un soutien verbal, mais nous remarquons que c’est tout de même important. Cela donne de la force à nous et à eux. C’est ainsi que nous maintenons notre projet en vie à distance.
Vous les aidez à garder espoir…
Oui, car l’espoir « est une personne », comme nous a dit une fois Massimo Toschi. J’espère également pouvoir bientôt construire une école permanente à Bethléem. Nous avons déjà le lieu et le projet. Ce serait très important.
Avez-vous du soutien ?
Le Père Ibrahim Faltas va nous donner l’opportunité de l’ouvrir. Cela signifierait pouvoir offrir une continuité et une régularité au travail des jeunes. L’art peut libérer les personnes, donner de l’espoir et un sentiment de liberté même à ceux qui vivent dans une prison à ciel ouvert.
Cette histoire parle de fraternité et de force.
La fraternité universelle, c’est créer une unité très profonde entre les peuples et les personnes. L’art est un langage supérieur qui abat les barrières culturelles, religieuses et sociales. Il crée une harmonie profonde. Le corps qui nous a été donné est un instrument qui nous fait nous découvrir différents mais unis en une seule âme.
Les jeunes donnent un grand élan à la construction de la fraternité…
Notre projet nait dans le cœur des jeunes et, pour cela, il a une grande force. Ce sont eux les premiers à y croire. Par le travail commun et l’amour commun de la danse, les jeunes du campus créent une fraternité plus forte que les liens du sang.
Quelles sont, dans l’immédiat, les prochaines étapes de votre travail ?
Le 31 mai 2024 nous proposerons un spectacle pour les écoles à Florence auquel nous inviterons le Père Ibrahim Faltas pour qu’il nous parle de la situation au Moyen-Orient. À la présence des autorités, nous allons projeter les vidéos réalisées par les écoles sur le thème de la paix, sans doute les plus emblématiques du Moyen-Orient ou d’Amérique Latine. Nous parlerons de la façon dont de nombreux enfants et jeunes, de différentes façons, contribuent à la construction de la paix.
Les mêmes concepts que l’on retrouve dans ton école…
Ce n’est pas une obligation pour les jeunes qui fréquentent mon école d’être actifs dans l’association : la participation doit être un choix. En général, cependant, les élèves les plus doués mettent leur talent au service des autres, de sorte à ce qu’il n’y ait pas de protagonisme personnel, mais que le résultat final soit bon pour tout le monde. Souvent, à la fin d’un spectacle, ils éprouvent une émotion plus forte que s’ils s’étaient produits seuls. Ils m’ont souvent dit qu’ils se sont tous sentis « un » sur scène. Après, ceux qui ont vraiment du talent peuvent continuer à se former pour devenir des professionnels.
Dans l’école on trouve aussi des personnes handicapées.
Généralement, elles participent aux chorégraphies avec les autres. Nous constatons que cela n’enlève rien, au contraire, cela ajoute quelque chose. Nous nous efforçons de donner à chacun la possibilité de s’exprimer de la meilleure façon possible et de combler les lacunes des autres. C’est notre méthode pédagogique : on ne travaille pas seulement pour soi-même, mais pour les autres. Cela renforce la compétence : on s’améliore en donnant, et quand les jeunes s’en rendent compte, ils deviennent enthousiastes.
L’art aide de différentes façons…
L’une des jeunes de notre école est atteinte d’ataxie : cela veut dire qu’elle n’a pas d’équilibre. Lorsqu’elle est arrivée chez nous, enfant, elle devait être soutenue pour marcher. Je ne suis pas médecin et au début je ne souhaitais pas lui donner des cours. Mais sa maman a insisté et nous avons commencé par de la propédeutique à la danse : des exercices de psychomotricité harmonique et beaucoup d’amour. Je me souviens de son bonheur alors qu’elle a commencé à bouger au rythme de la musique. Aujourd’hui elle a 18 ans, elle marche seule et elle participe aux chorégraphies avec les autres. C’est un miracle d’amour. Lorsque, au cours d’un spectacle, le public se rend compte de tout cela, nous recevons un tonnerre d’applaudissements.
Des applaudissements qui vous donnent de la force en tant qu’enseignantes ?
Oui, ils nous donnent de la force, car ces 18 ans de vie de l’association n’ont pas toujours été faciles : les Campus Internationaux sont totalement gratuits, mais pour les organiser il faut beaucoup d’argent et il n’est pas toujours évident de le trouver. Malgré cela, nous croyons que la gratuité est un élément important de motivation initiale pour beaucoup de jeunes qui se passionnent ensuite pour le projet. Parfois, des professionnels qui ont vécu notre campus m’écrivent pour me dire qu’ils continuent de faire avancer l’idée de l’harmonie au sein de leur compagnie.